Le dernier IMOCA à avoir jeté les amarres à Montréal était l’ancien Spirit of Canada du regretté Derek Hatfield. Rebaptisé Ô Canada par la suite pour un programme d’entraînement pour Olympiens, le voilier a récemment été vendu au skipper Jackson Boutell qui projette de faire le Vendée Globe. La présence du voilier Hugo Boss était donc de la visite très très rare. Premier constat, entre les deux bateaux, il y a un univers entier de différences.
C’est que la façon de construire les voiliers de course a tellement changé qu’on ne reconnaît presque plus la jauge si on la compare à ce qu’elle était au commencement. Ça n’a plus rien à voir. Et étonnamment, en dépit de toutes les avancées technologiques consenties, la quête de performances accrues est loin d’être finie et se poursuit inlassablement. Et cela même si, quand on regarde jusqu’où on est rendu, on se demande bien ce qui pourrait être fait de mieux.
Or, quand Voile en Ligne a posé cette question à Alex Thomson, il y a eu un grand silence pour nous faire comprendre que la réponse ne viendrait pas. Nous avons alors demandé au skipper gallois si en vendant ce bateau il n’allait pas donner à l’un de ses adversaires le pistolet pour lui tirer dessus. La réponse est sans équivoque. Pour Alex Thomson, il ne fait aucun doute que le prochain Hugo Boss sera encore plus performant et plus rapide.
Nous avons un cahier de charges dans lequel est consigné tout ce que nous attendons du prochain bateau. Depuis 2004, année où je me suis élancé pour la première fois sur le Vendée Globe, nous avons apporté des améliorations régulières et constantes sur les voiliers que nous avons mis à l’eau. Notre courbe est linéaire ascendante. Et ce sera encore le cas cette fois-ci. Nous aurons un bateau fortement amélioré par rapport à celui-ci.
Oui mais n’aurait-il pas été plus sage d’améliorer un voilier déjà éprouvé?
Nous avons tiré pas mal d’enseignements techniques du dernier Vendée Globe. Et nous voulions repartir sur de nouvelles bases pour nous permettre de réaliser un meilleur bateau. Et pour ce faire, il fallait absolument recommencer du début. Mais le résultat sera là. Je n’ai absolument aucun doute là-dessus, il sera encore meilleur.
L’homme a vieilli. Mais il ne tient toujours pas en place. Alex Thomson est nerveux et excité face à ce qui l’attend. Un nouveau bateau et un nouveau départ pour le prochain Vendée Globe mettent des étoiles dans ses yeux.
Il faut savoir que depuis son entrée dans le circuit IMOCA en 2004, Alex a connu beaucoup de fortunes de mer. Le métier a été appris à la dure. L’expérience est maintenant en banque. Le savoir-faire s’est développé. Toute cette expertise est précieuse et son utilité sera indéniablement mise à profit pour les projets futurs de l’équipe. Alex Thomson a changé. Il se connaît définitivement mieux comme coureur et comme être humain.
J’ai appris à m’imposer un rythme de vie, à le suivre avec rigueur et je me suis laissé aidé par l’équipe. Je suis un gars assez émotif qui avait tendance à en prendre beaucoup sur mes épaules. Cela a changé avec le temps. Maintenant tout est pris en compte avec des professionnels qui m’aident et me conseillent. C’est le cas pour l’alimentation. J’ai également un psychologue sportif qui m’aide dans la gestion du sommeil et ma préparation psychologique. Par exemple, au fil des ans, on s’est rendu compte que d’aller au bout de ses forces n’était peut-être pas nécessairement une bonne idée. La fatigue fait prendre des décisions qui peuvent ne pas être les bonnes et cela est contre-productif. Je m’applique maintenant à mieux gérer mes forces. Deux mois avant le départ du Vendée Globe, je débute mes exercices de gestion du sommeil qui consistent à dormir 20 minutes toutes les deux heures. Ainsi, ça va beaucoup mieux. Mon alimentation est également beaucoup plus équilibrée.
Pour donner un ordre de grandeur, c’est 3500 calories au minimum par jour qu’il faut pour un skipper qui fait le Vendée Globe. C’est l’équivalent de manger 14 Big Mac quotidiennement. Et si l’on dit que qui dort dîne, l’inverse est aussi vrai. Qui mange convenablement dort en quelque sorte. C’est avec ces paramètres qu’Alex travaille à l’instar de tous ses adversaires. Avec une alimentation qui tend à compenser le manque de sommeil d’une certaine manière. Avec des méthodes d’entraînement qui découlent d’études sérieuses sur l’état général de l’être humain en situation de stress, on a pu optimiser à la fois la récupération et le rendement sur le plan sportif.
Sur le plan personnel, on a demandé à Alex Thomson quelle partie de ce sport il maîtrise le mieux.
Je suis un valet dans tout et roi dans aucune discipline. Je tente d’être bon à la barre, bon aux réglages, bon à la navigation et bon aussi pour aider ceux qui construisent les bateaux sur lesquels je navigue. Je pense qu’il faut laisser de côté la recherche de la perfection et tenter plutôt de trouver un équilibre. Il faut être heureux. Après tout, nous faisons du sport.
L’IMOCA sera la jauge pour la prochaine édition de ce qui est à ce jour la Volvo Ocean Race. Est-ce qu’une expérience en équipe pourrait intéresser Alex Thomson?
Ce n’est pas sur l’écran radar. Je me concentre sur le prochain Vendée Globe. J’ai aussi beaucoup à faire avec la construction du nouveau bateau. Il ne faut pas se faire d’illusion. Une Volvo n’est pas moins difficile pour un marin. On en donne plus parce qu’on a sur ses épaules la pression de l’équipe. Même si cette pression ne s’exerce pas de façon directe, on la ressent quand même. Et on a tendance à naviguer en équipe comme si on était seul. On fournit les mêmes efforts et on donne la même quantité d’énergie. Pas facile!
Et le multicoque?
Je ne réfléchis pas à l’idée de me lancer sur un multicoque. Du moins pas pour l’instant. Et avouons que la récente fortune de mer de Banque Populaire a de quoi refroidir les ardeurs. Il sont d’ailleurs plusieurs à se demander dans le milieu si nous ne sommes pas en ce moment engagés sur le même chemin glissant qui a conduit à la disparition de la classe ORMA. On espère se tromper. Mais on en demande beaucoup aux skippers et aux équipiers qui œuvrent sur ces machines.
Le Vendée Globe de 2016-2017 a été cruel. À l’évidence, Alex Thomson était celui qui disposait du voilier le plus rapide de la flotte. Le bris d’un foil est venu éteindre les espoirs alors qu’Alex et son Hugo Boss étaient dominants. Que retenir du fait d’avoir été à la fois si près et si loin du but? Le sentiment que sans cette avarie, les chances de l’emporter auraient été meilleures? Avant même de revenir de son tour du monde et d’embouquer le chenal des Sables-d’Olonne, le skipper avait-il tourné la page sur cette première place qui pourtant semblait lui appartenir ?
Dans le sport, on fait sa chance. Et non, la page n’est pas tournée. l’histoire continue de s’écrire. Le livre n’est pas terminé. Nous n’avions hélas pas suffisamment navigué avec le bateau et je pense que c’est ce qui explique ce qui s’est passé. D’ailleurs je n’ai jamais eu l’impression d’avoir heurté quoi que ce soit. Le foil s’est cassé sous la pression combinée du bateau et des forces de la mer. Signe qu’il manquait un petit quelque chose. Tous ces facteurs relèvent de nous-mêmes. Et au final, c’est la meilleure équipe qui a gagné. Oui, j’y pense. Je n’ai pas de regrets ni amertume. Mais j’y pense parfois. La douleur est quelque chose qui s’apprivoise avec le sourire et en regardant vers l’avenir. Et puis j’ai de la chance. J’ai un sponsor qui m’offre un support extraordinaire. Je suis un privilégié dans ce sport, et ce, même si j’ai travaillé et que je travaille toujours extrêmement fort pour la quête du succès. Voilà pourquoi même si ça ne me tente pas toujours, je me mets un sourire sur le visage et je tente de garder une attitude fortement positive.
La rencontre s’est achevée avec une visite du voilier. Nous avons alors pu savoir que le prochain Hugo Boss serait l’œuvre du cabinet d’architectes VPLP. Alex Thomson nous a laissé l’impression d’un homme déjà fortement préoccupé par son programme des mois à venir. Un homme qui se donne à 100% dans ce qu’il fait. D’ailleurs il a passé près d’une heure avec nous, témoignage de son niveau d’engagement et de sa générosité. Il a répondu aux nombreuses questions du public, des questions qui, on s’en doute, reviennent assez souvent.
Impossible de passer sous silence l’engagement de l’entreprise Hugo Boss. Une courte entrevue avec la directrice d’Hugo Boss Canada madame Lanita Layton nous a permis de prendre la pleine mesure de la valeur d’un support sportif de l’ampleur de celui offert à Alex Thomson. Celle-ci a révélé combien le partenariat avec le milieu de la course au large et en particulier avec Alex Thomson était fructueux. Et la réciprocité est au rendez-vous.
Voile en Ligne tient à remercier Madame Layton ainsi que la directrice des communications madame Sarah Taylor, pour cette occasion de rencontre avec Alex Thomson.